Kalianah ~ Regarde-moi et tu verras que la rose, ça pique.

Ton premier cri raisonne, précédé de peu par un autre, celui de ton frère. Les jumeaux James et Kalianah. Certains diront que tu n’es pas née dans une bonne famille. En effet, les Whitemore ne sont pas haut gradé, plutôt mal vus si on peut dire. Ton père, même lorsque tu grandis, c’est un homme absent. Un homme qui ne vit pas pour sa famille, au point où petite, tu te demandes même s’il sait qu’il en a une. Ta mère, c’est tout le contraire. Elle a beau n’avoir aucun grade, elle n’en perd pas moins son sourire et sa chaleur maternelle. Ta mère, tu l’aimes plus que tout, du haut de tes yeux d’enfant. C’est ton modèle, parce qu’elle est forte. Plus tard, tu voudrais lui ressembler, toi qui as peur de dormir dans le noir. Mais ta mère oui, elle est tellement forte. Tu vois bien que les autres fées vous regardent différemment, mais ce n’est pas pour autant qu’elle baisse la tête. Non, elle la garde bien haute et droite, parce qu’elle sait au fond d’elle, où sont ses valeurs.

En grandissant, tu aides ta mère du mieux que tu le peux. Tu envies certains métiers, tu les observes en cachette, mais tu ne dis rien. Tu ne te fais pas remarquer. Et contrairement à ta mère, tu baisses le regard quand tu croises quelqu’un qui te prend de haut. T’es timide, mais tu essayes de t’endurcir sans grand succès. Ton frère lui, il a plus d’assurance que toi. Lui aussi, tu l’envies. Il est fort et arrive à se faire une place. C’est d’ailleurs grâce à sa prestance selon toi, qu’il arrive à rentrer au service de la Reine, en tant que garde royal. Tu l’envies encore plus pour cette place, parce que toi aussi, tu aimerais faire connaître ce nom qui est le vôtre.

150 ans qui s’écoulent. Tu vois ton frère qui grimpe les niveaux, qui parcourt de nombreuses couches. Et toi t’es là, à assister à ce côté enfantin qui lui est propre. Mais tu continues à espérer qu’un jour, tu seras comme lui. Mais c’est compliqué. Dès que tu essayes de parler à quelqu’un, tu bafouilles ou fait tomber ce que tu portes, en devenant rouge pivoine. Le pire, c’est quand il y a des choses organisées. Tu vois les jeunes filles de ton âge qui sont aux bras d’hommes magnifiques. Tu fermes d’ailleurs souvent les yeux en t’imaginant à leur place. Ton premier rendez-vous tu l’as d’ailleurs avec un jeune fée. Il est légèrement plus vieux que toi, mais il semble t’apprécier, car c’est la première fois qu’il vient t’inviter. Tu acceptes bien sûr avec plaisir ! Pour ce soir-là, tu enfiles une belle robe pastel, qui te donne un air assez enfantin. Une jolie rose accrochée à ton poignet ; pour la première fois, tu te trouves belle. Mais quelle n’est pas ta surprise quand tu vois qu’il s’est moqué de toi et qu’il arrive avec une autre à son bras. Tu lui  en veux, tu as de la haine dans ton regard. Tu voudrais lui faire une crise, mais tu n’en as pas la force. Non, toi, tu es faible.

Depuis ce soir, tu ne t’approches plus des autres, tu restes en retrait, à aider ta mère. Mais en sortant un soir de la cour, environ 50 ans plus tard, tu t’assois sur un des bancs du parc de NewYork, pour regarder le soleil qui se couche et les étoiles qui viennent se poser délicatement dans le ciel nocturne. Tout ce paysage t’apaise. Regardant le ciel, tu ne fais pas attention à l’ombre qui se glisse à tes côtés. Entendant un léger raclement de gorge, tu te retournes vivement, en sursautant. Ton regard croise le sien, et tu ne sais plus quoi dire, quoi faire. T’enfuir ou rester ? Parler ou contempler ? Tu te sens toute flagada. Ça ne t’est jamais arrivé encore. Alors tu te contentes de le regarder bêtement. Il sourit et tu rougis en baissant enfin les yeux. « Je peux ? » Peux quoi ? Tu te retournes vers lui, l’incompréhension luisant dans tes pupilles, mais tu le vois qui indique la place libre sur le banc à côté de toi. Hochant la tête, toujours incapable de parler, tu reprends ta contemplation du ciel. Mais tu sens toujours son regard brulant sur toi. Tu sens qu’il veut parler, mais tu fuis. Descendant rapidement de ton banc, tu pars en courant, le laissant sur place.

Pendant plusieurs jours, tu ne quittes pas cet air béat. Tu revois son regard brulant. Cet homme, te plait. Tu ne sais pas qui il est, ce qu’il est, mais il te plait. Tu rêvasses souvent, au point où ta mère finit par te demander qui est ce mystérieux jeune-homme. Tu secoues la tête. Comment a-t-elle compris ? Alors c’est grâce à ses conseils, même si tu nies tout en bloc, que tu retournes trois soirs après cette rencontre, sur ce même banc. Et tu attends. La lune remplace le soleil, les étoiles les nuages. Tu ne sais pas combien de temps, mais tu attends. Et tu perds ton sourire. Il n’est pas venu. Fermant les yeux, une voix raisonne à tes oreilles. « Je peux ? » Cette voix, tu n’as beau l’avoir entendu qu’une fois, tu la connais. Tu te tournes vers lui et suivant les conseils de ta mère, tu hoches la tête avec un sourire. « Oui. » Ton mot ressemble à un petit couinement, mais ça semble l’amuser. Il prend place à tes côtés et observe le ciel avec toi. Au bout de plusieurs minutes, ou même des heures tu n’en sais rien, il brise le doux silence. « Haelios et vous ? » Un nom magnifique. Avalant ta salive, tu rougis. « Kalianah. » Il sourit et avance sa main vers ton visage. Tu appréhendes, mais il ne fait que caresser ta joue du gras de son pouce. Douceur divine. « Un prénom aussi entêtant que vous, petite fée. » Et sans un mot, il se redresse et disparait. Petite fée ? Comment peut-il avoir deviné ?

Le lendemain, tu arrives un peu en retard au banc. Mais il est déjà là. Ton cœur loupe un battement, et tu ne peux plus le lâcher. Sa beauté te coupe le souffle. Tu t’avances et quand il t’aperçoit, un sourire soulagé vient naître sur ses lèvres. « Bonsoir Kalianah. » Tu prends place à ses côtés et il vient poser un bras sur tes épaules. Doucement mais délicatement, il t’approche de lui, collant ainsi vos flancs l’un contre l’autre. Fixant le ciel, tu prends la parole sans le regarder. « Comment … comment savez-vous pour moi ? » Il pose ses lèvres dans tes cheveux et tu frissonnes. Du bout des doigts, il attrape ton menton et le relève pour que tes yeux rencontrent les siens. « Parce que je suis comme vous, Kalianah. » Du bout des doigts, il fait apparaître de la magie. Un sorcier. Jamais tu ne t’en saurais douter. Tu le regardes faire, émerveillée. Il sourit et caresse de nouveau ton visage. « Vous me plaisez, Kalianah. » Et pour la première fois de ta vie, en 200 ans, tu as le droit à ton premier baiser.

Pendant des semaines, vous vous revoyez. Le vouvoiement laisse place au tutoiement. Les baisers timides deviennent plus torrides. Au bout de quelques mois, tu ne veux toujours pas en parler à ta famille. Ils se doutent de quelque chose, mais tu veux garder ton petit secret. Rejoignant régulièrement Haelios chez lui, tu lui donnes tout. Toutes tes premières fois. Tout ton corps. Tout ton cœur. Tout, entièrement tout de ce qui te constitue. T’es heureuse avec lui, tu te sens bien. Quand il te prend dans ses bras, c’est comme si tu étais enfin chez toi. Avec lui, tu es toi-même. Avec lui, tu découvres de nouvelles expériences, au bout de quelques mois. Comme celle où en te charriant, il te dit d’aller embrasser une femme. Tu le fais, mais contre toute attente, ça te plait. Il ne cesse de te répéter combien tu es belle et forte. Peu à peu, il te fait devenir celle que tu as toujours voulue. Tu l’aimes cet homme, tu l’aimes.

Mais le rêve se brise. Au bout de deux ans, tu arrives un peu en avance chez lui, pour lui faire une surprise. C’est le jour de votre rencontre. Alors tu as mis la belle robe rouge qui t’a offert, ainsi que les boucles d’oreille qui lui plaisent tant. Tu entres sans frapper, tu ne le vois nulle part. Alors tu vas dans la chambre et tu entends des murmures. Des gémissements de plaisir. Avec horreur, tu ouvres la porte. Il est au lit. Avec une femme. Cette même femme qu’il t’a forcé à embrasser, quelque mois plus tôt. Au sol, parmi les vêtements, tu vois la même robe que toi. Tu comprends qu’il t’a berné. Tu sens ton cœur qui s’écrase violemment au sol et se brise en millier de morceau. Les larmes dévalent tes joues. Tu le détestes. Non tu le hais. Et encore, le mot n’est pas assez faible. Tu arraches le collier qu’il t’a offert, et tu tournes les talons. Du coin de l’œil, tu le vois qui tente de se rhabiller, mais il se prend les pieds dans le drap et s’écroule sur le sol, rejoignant ton cœur qu’il a détruit. « Anah attends … » Tu te retournes vers lui. Tu vois la femme qui se redresse, un sourire gagnant aux lèvres. Une dernière phrase, comme une promesse que tu lui envoies, avant de quitter l’appartement. « Tu recroises mon chemin, je te tuerai. »

Peu de temps après, l’esprit vengeur, tu as tenté de draguer un ami à lui que tu as connu un soir : Edward Bjorn. Mais celui-ci te repousse, alors tu te promets de faire de sa vie un enfer. Tu les hais les sorciers. Tu continues ta vie. Tu couches avec qui le veut, mais jamais avec des sentiments. Ceux-là, hormis pour les tiens, ils n’ont plus leur place dans ta vie. On te traite de garce ou de monstre, mais tu t’en fous. Ton frère te trouve une place à la cour, tu seras celle qui s’occupe des bébés échangés à la naissance. Un rappel douloureux pour te rappeler que toi, tu aurais aimé en avoir avec l’homme de ta vie qui t’a brisé. Mais ce travail, tu l’acceptes. Il te permet de ne pas oublier le mal qui te ronge. Quand ton frère rencontre une louve, au départ, tu te méfies. Mais elle n’est pas comme Haelios. Non, elle est différente. Tu deviens même son amie. Tu reprends ta vie glaciale et tu n’espères qu’une chose dans le fond : recroiser Haelios pour le détruire comme il t’a détruit.